« La famille est-elle naturelle ou culturelle ? » : Intervention de Francis Mouhot, psychologue

par 15-10-2013Education

J’ai été surpris par cette question, comme si la famille pouvait être soit naturelle, soit culturelle, jusqu’à ce que je me rappelle que dans la langue française le « ou » peut-être inclusif (synonyme de « et ») ou exclusif (ou bien). Je parlerai donc d’abord de la famille en tant que nécessairement naturelle et culturelle, puis j’évoquerai les cas où les deux familles s’excluent.

La famille est la base de la société depuis des millénaires, mais comment la définir ?

C’est de plus en plus difficile et les psychologues n’osent plus s’y risquer. La Bible, dans la genèse, définit le couple : « l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme et les deux deviendront une seule chair », mais elle ne définit pas la famille.

Le Littré disait, il n’y a pas si longtemps : « personnes d’un même sang, vivant sous le même toit, principalement le père, la mère et les enfants. Coexistence de deux générations ». Cette définition correspond à celle d’une famille naturelle. Mais nous savons que des personnes qui n’ont pas le même sang peuvent en faire réellement partie. Les familles recomposées ont toujours existé. N’ayant pas trouvé de définition d’une famille « culturelle », je dirai par défaut que c’est une famille qui n’est pas naturelle : recomposée, adoptive, d’accueil, homoparentale, etc.

La famille peut-elle à la fois naturelle et culturelle ?

La famille est naturelle, parce qu’à ma connaissance il faut toujours un spermatozoïde et un ovule pour concevoir un bébé ; et culturelle, parce que la famille peut être un lieu de sécurité, de bonheur, mais aussi d’injustices et de souffrances. Très vite des lois ont été nécessaires pour interdire la violence et l’inceste, là où les inhibitions naturelles ne se mettaient pas en place et pour palier les carences de certains parents ou leur absence. Aujourd’hui la nature est de plus en plus contrariée (par la pilule par exemple), et par la multiplication des parents (on peut avoir trois mères et deux pères). Les familles sont de plus en plus culturelles.

La famille répond aux besoins de l’enfant[1]

  • Son besoin fondamental est d’établir un lien solide avec sa mère ou une « figure d’attachement ». Il est programmé pour cela. Naturellement une mère a du plaisir à s’occuper de son bébé, elle lui est dévouée, c’est le concept de préoccupation maternelle primaire, cher à Winnicott.

On sait maintenant que pour un bébé, la qualité des soins qu’il reçoit est bien plus importante que sa filiation biologique. Lorsqu’une mère a l’impression de perdre son temps en s’occupant de son enfant, est-ce l’influence de la culture ou le fait qu’elle est coupée de sa féminité ? Probablement les deux.

  • Besoin d’amour : besoin de savoir que ses parents sont heureux qu’il existe, qu’ils l’acceptent d’une façon inconditionnelle, sans tenir compte de son sexe, de son apparence physique, de sa personnalité. Une fillette se sent rejetée si ses parents espéraient un garçon (et vice versa).
  • D’autres besoins : d’éloge, de faire de nouvelles expériences, avoir des responsabilités.

Il n’est pas nécessaire d’être les parents naturels pour satisfaire ces besoins. Moi qui me suis longtemps occupé d’enfants délaissés, maltraités ou abandonnés, je sais combien un enfant peut être beaucoup mieux accueilli et trouver plus d’amour auprès d’une famille culturelle, qu’auprès de ses parents biologiques.

La famille est un lieu de filiation et de transmission

Les parents naturels intègrent l’enfant dans ses deux lignées : « t’es comme ta grand-mère, comme ta tante ». Cette filiation, que les psychologues appellent contrat narcissique, est importante, mais elle peut être dangereuse si elle enferme l’enfant dans des répétitions générationnelles : « il est comme son père, il s’emporte vite et casserait tout », « chez nous c’est les mères qui portent la culotte depuis plusieurs générations ».

Ici non plus, il n’est pas nécessaire d’être des parents naturels pour transmettre à nos enfants nos habitudes, nos croyances, nos peurs ; puisque l’enfant imite ses parents. « Qu’est-ce qu’il ressemble à son père ! », me disait une institutrice à propos d’un de ses élèves. Les parents de l’enfant ne lui avaient pas dit que l’enfant était adopté. Normalement, l’identification se fait au parent du même sexe, il va acquérir la fierté de son sexe. S’il s’identifie au parent de l’autre sexe, il y a un problème et l’enfant va en souffrir.

La famille est un lieu d’apprentissage

Des limites, des responsabilités, des droits, des devoirs, de la gestion des conflits. Lieu d’apprentissage de valeurs. Le fossé se creuse entre les valeurs chrétiennes données dans certaines familles et la société de plus en plus immorale.Les tensions augmentent.

Les pères et mères ont des types d’échanges différents et complémentaires. La mère cherche le regard de son enfant, le sollicite, lui sourit. Elle est plus dans le registre du bien-être, de la tendresse, du réconfort. Le père a des échanges plus physiques, plus stimulants. Des jeux de corps à corps qui aident l’enfant à maîtriser son agressivité. Il taquine volontiers l’enfant, se montre plus déstabilisateur. Alors, les rôles peuvent-ils être inversés dans une famille ? Deux observations simples vont nous permettre de répondre :

  • Lorsqu’un père disparaît, c’est parfois la fille ainée de la famille ou une grand-mère qui le remplace pour aider la mère dans sa tâche éducative.
  • Dans de nombreuses familles l’homme est maternel et la mère fait fonction d’autorité. Un équilibre peut être trouvé dans ces couples, mais l’enfant en souffre.

Nous avons tous des traits de caractère masculins et féminins, plus ou moins prononcés et plus ou moins développés (de nombreux hommes savent repasser, des femmes savent bricoler).

Le désir d’enfant est-il naturel ?

Pas si naturel que ça puisque le créateur a jugé nécessaire de dire aux humains : « soyez féconds, multipliez ». L’enfant peut être un accident, aux conséquences parfois très graves : déni de grossesse, rejet de l’enfant (jusqu’à l’infanticide). Certains refusent l’idée de lois de la nature qui préparent la fillette à devenir mère. C’est l‘éducation qui explique cela. Ils oublient que :

  • La plupart des fillettes dès 15-18 mois s’intéressent spontanément aux bébés et aux habits, les garçons aux voitures et aux camions.
  • La culture fait pression sur les mères dans un sens comme dans l’autre : selon les époques et les milieux sociaux, elle les pousse soit à s’occuper de leur bébé, soit à s’investir dans une activité professionnelle.

Des études montrent[2] qu’on n’élève pas les garçons de la même manière que les filles. Les attentes des parents sont différentes. Ils ne répondent pas aux questions des garçons et des filles de la même manière. Ils s’inquiètent si une fille veut faire de la boxe, si un garçon veut faire de la couture ou de la danse (pourtant les plus grands couturiers sont des hommes).

L’identité sexuelle est donc naturelle et culturelle.

Il y a un renforcement mutuel. L’éducation conditionne en partie les conduites des filles et des garçons.Dans la théorie du genre, il y a donc une part de vrai et beaucoup d’erreurs :

Au nom de l’égalité garçons filles, des parents privent leurs enfants de petites voitures et de poupées, pour ne garder que des jeux à formes géométriques. C’est une aberration. Je préfère nettement les parents qui mettent à la disposition des enfants des camions, des poupées et des dinettes, et laissent libre l’enfant garçon ou fille de jouer avec ce qu’il veut.

Au nom de l’égalité adulte enfant, on n’impose plus rien aux enfants : « de quel droit j’interdirais à mon enfant de faire ceci ou cela ? ». L’autorité est remise en cause, avec les résultats catastrophiques que l’on observe.

Au nom de l’égalité on affirme de plus en plus que « les homosexuels sont des parents aussi compétents que les autres ». Je suis d’accord sur certains points, je l’ai dit, mais il y a au moins deux points sur lesquels il leur sera difficile de l’affirmer. Comment deux femmes qui ne veulent pas d’homme, peuvent-elles expliquer à un garçon qu’elles l’ont désiré ? Comment un petit garçon élevé par deux mères va-t-il devenir un jeune homme fier de son sexe ? Le manque d’homme dans sa réalité quotidienne et surtout dans l’esprit des femmes qui l’élèvent peut être à l’origine d’une grande souffrance (et vice versa, s’il s’agit d’une fillette élevée par deux hommes).

Que risquent-t-ils d’éprouver ?

  • de la honte : ce sentiment va s’atténuer avec l’évolution des mentalités, mais je ne crois pas qu’il va disparaitre. Il y aura toujours des enfants pour préférer l’enseignement biblique à l’idéologie ambiante.
  • de l’inhibition, une faible estime de soi (penser qu’il ne mérite pas d’avoir un père et une mère).
  • de la colère, de la révolte, qu’elle soit contenue ou exprimée.

Comment deux personnes qui ont choisi une sexualité stérile vont-elles expliquer à un enfant son origine ? Tout enfant se représente naturellement comme issu d’une union entre un homme et une femme. La sexualité de ses parents ne sert pas qu’à leur plaisir, mais à donner naissance à des enfants.

On sait maintenant séparer sexualité et procréation, mais ce n’est pas dans l’intérêt de l’enfant.

L’idéal pour lui c’est lorsque tendresse, sexualité et conception sont liées. L’explication donnée sur les processus techniques à l’origine de sa conception ne va pas suffire à gommer les questions fondamentales qu’il se pose. Et sa souffrance sera d’autant plus grande qu’il ne connait pas l’un ou l’autre de ses géniteurs.

On sait que maintenant le parent non biologique va pouvoir adopter l’enfant de son compagnon ou de sa compagne. Mais on oublie volontairement de dire que c’est un processus complexe et douloureux. Dans de nombreuses situations la greffe ne prend pas. Même élevés par de bons parents, les enfants adoptés se font des films (le « roman familial »), ils se demandent toujours pourquoi ils ont été abandonnés, s’ils ont été volés par ceux qui les élèvent, si leurs parents étaient trop pauvres, si leur mère a été violée, etc.

Le devenir des enfants de familles homoparentales

Homosexualité et adoption : on multiplie les difficultés aux enfants. Il est normal qu’ils en souffrent. Il y a deux manières d’aborder le problème :

  1. approche scientifique : les études sur le devenir des enfants élevés par des parents de même sexe sont encore trop peu nombreuses. Celles qui existent sont basées sur un très petit nombre d’enfants et souvent orientées.
    Personne ne peut dire les conséquences sur plusieurs générations. Pourquoi ne prend-on pas un minimum de précautions ? Parce que le débat n’est pas rationnel mais idéologique.
    L’étude sociologique de Regnerus[3] a très mal été accueillie par les défenseurs du mariage pour tous. Cela n’est pas étonnant puisqu’elle n’est pas politiquement acceptable, mais je rappelle qu’avant elle des études sérieuses sur les enfants de parents divorcés ont été contestées parce qu’elles osaient dire qu’ils avaient plus souvent que les autres des symptômes dépressifs et anxieux. Les études évoquant les troubles de beaucoup d’enfants adoptés, également.
  2. approche clinique : Pour Serge Hefez[4], pédopsychiatre à la Pitié-Salpêtrière, « deux personnes qui n’ont pas engendré un enfant peuvent être ses parents, qui l’aiment et l’élèvent. Cela ne pose pas de problème si les choses sont claires pour l’enfant ». Comment un psychiatre peut-il écrire « cela ne pose pas de problème si les choses sont claires », alors que c’est en contradiction totale avec toutes les études sur l’adoption !

Guillaume Fond, lui aussi psychiatre favorable au mariage pour tous, reconnait dans un article du Monde[5] : « nous n’avons pas encore de retour de la part des enfants devenu adultes sur leur expérience de la vie homoparentale ». Il ajoute : « aucun enfant ne semble s’être plaint d’avoir grandi dans une structure homoparentale ». Le moins que je puisse dire est que cet argument est léger et peu honnête (il suffit de consulter internet pour trouver des témoignages de personnes qui en ont souffert).

J’ai rencontré plusieurs enfants perturbés par l’homosexualité d’un parent.

Exemple : une fillette de 9 ans a des troubles du sommeil depuis qu’elle a découvert l’homosexualité de sa mère qui vient de se séparer de son père pour se mettre avec sa copine. La fillette voudrait empêcher sa mère de coucher avec celle-ci. Elle est confrontée à deux difficultés : le divorce de ses parents et l’homosexualité de sa mère. Mais je m’empresse d’ajouter qu’une insomnie peut apparaître aussi, par exemple, lorsqu’un enfant découvre qu’un de ses parents a un amant.

Famille naturelle ou culturelle ?

Il peut y avoir exclusion entre la famille naturelle d’un enfant et sa famille culturelle. On voit cela en particulier dans le cadre de la protection de l’enfance. Je pense aux enfants placés en famille d’accueil à qui des travailleurs sociaux disent : « ta vraie famille c’est pas celle qui t’élève, c’est ta famille naturelle » (même si elle est maltraitante) ! On se raccroche à la famille naturelle comme à une bouée avec angoisse, alors que beaucoup de familles se décomposent de plus en plus.

Des lesbiennes se sont vues contraintes récemment de reconnaître les droits de visite et d’hébergement de l’ami du couple qui a donné du sperme et reconnu le bébé. Une des deux femmes disait : « la famille, c’est moi et ma compagne. On n’avait pas prévu que ce Monsieur viendrait revendiquer ses droits. Ca bouleverse notre famille ». Ce sont les deux femmes qui ont voulu l’enfant, cela suffit-il pour qu’elles soient sa famille ?

Lebovici distinguait trois désirs d’enfant différents chez une mère : désir de grossesse (désir d’être enceinte), désir de maternité (qui est un « désir partiel », une envie d’enfant avec toutes ses bonnes raisons : pour se prouver qu’on est capable de faire quelque chose de bien, pour provoquer ses parents, pour garder son copain, pour combattre sa solitude, par révolte contre la société, pour toucher les allocations familiales, etc.) et le vrai désir d’enfant, qui procure de la joie.

Eric Dubreuil[6] écrit : « Le désir d’enfant n’est pas moins fort chez un homosexuel que chez un hétérosexuel. Un homosexuel doit avoir le droit d’avoir des enfants s’il le désire ». Il glisse du désir d’enfant au droit d’avoir un enfant, alors que, nous venons de le voir, ce n’est pas la même chose. Je précise que ce « vouloir un enfant » n’est pas réservé aux couples homosexuels, je l’ai rencontré chez de nombreux couples homme-femme.

Nous sommes dans une grande confusion. Pour moi le repère solide reste le jugement du roi Salomon dans l’antiquité[7]. Deux femmes viennent d’accoucher sans témoin et un des deux enfants est mort. Les deux mères tiennent le même discours : « c’est mon enfant qui est vivant, celui de l’autre qui est mort ». Salomon dans sa sagesse se fait apporter une épée et propose de couper l’enfant en deux. Une des deux mères est d’accord, l’autre le supplie de ne pas le faire, disant : « que l’enfant vive, même si ce n’est pas avec moi ». Elle risque d’en souffrir terriblement, son amour est complètement désintéressé. Salomon reconnait en elle la vraie mère.

Maintenant c’est l’inverse, on veut avoir un enfant, même s’il en souffre. Seule la souffrance des adultes compte.

Quand l’amour se refroidit, on parle alors de ses droits. La culture, la technique vont libérer les familles de la nature, pour les rendre enfin libres et égales. Les humains n’ont plus de limites dans leur toute puissance.

Ceux qui sont favorables aux nouvelles formes de familles culturelles pensent que les autres ont peur du changement. Pourtant le premier qui a remis en cause la famille n’est-ce pas le Christ lorsqu’il disait : « qui est ma mère et qui sont mes frères ? Ceux qui font la volonté de mon père », ou : « n’appelez personne sur la terre votre père, un seul est votre père[8] ». Cette nouvelle forme de famille ne se fera ni par l’égocentrisme des hommes ni par leur toute puissance.

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